dimanche 16 octobre 2011

Recension : Jean MADIRAN, Les droits de l’homme. DHSD, éditions de Présent, Maule, 1995, 160 pages.


Rédigé tout d’abord en 1988 à l’occasion des célébrations du bicentenaire de la déclaration des droits de l’homme de 1789, Les droits de l’homme. DHSD de Jean Madiran résume la réflexion de l’auteur sur la démocratie des droits de l’homme, définie comme celle des « droits de l’homme sans Dieu ». Il ne s’agit aucunement pour Jean Madiran de constituer une étude exhaustive sur les droits de l’homme, leur théorie et leurs développements historiques, mais d’en montrer les ressorts et la philosophie, sous la forme de chroniques dont le style alerte et la brièveté rendent l’ouvrage d’un abord très aisé. Dans les trois premiers chapitres, l’auteur s’emploie à dégager les principaux traits d’une véritable religion des droits de l’homme dont il montre les conséquences logiques dans les quatre chapitres qui suivent.



La réflexion de l’auteur met tout d’abord en évidence l’extrême difficulté que pose une opposition à des droits de l’homme érigés en 1985 par le président Mitterrand en « philosophie de notre république» (p. 33). « Il est pédagogiquement incommode, ou même impossible, de se déclarer contre les droits de l’homme : on aurait l’air de quoi ? » (p. 31-32) Définis par leurs partisans comme la garantie contre l’arbitraire, les droits de l’homme rendent immédiatement impossible leur propre contestation. « On sous-entend toujours, lorsqu’on parle de « droits de l’homme » sans autre précision, qu’il s’agit de vrais droits, il serait donc criminel d’aller contre » (p. 69-70).  Les droits de l’homme font ainsi l’objet d’une unanimité morale fondée sur le rejet de l’arbitraire.


Jean Madiran montre cependant que le problème posé par les droits de l’homme tient précisément à la définition qu’ils impliquent de l’arbitraire comme « tout ce qui prétend exercer sur l’homme une autorité ne dépendant pas de son consentement » (p. 34) : l’article 21 de la déclaration de 1948 stipule ainsi que toute autorité doit venir de la volonté générale, qui trouve son expression dans le suffrage universel. Dès lors, c’est toute autorité antérieure aux décrets du suffrage universel qui est frappée de l’accusation d’arbitraire, qu’il s’agisse de Dieu, de l’Eglise ou de la loi naturelle. « La loi morale ne peut survivre que si elle ne prétend pas […] à l’objectivité et à l’universalité, si elle renonce à son caractère d’obligation reçue et si elle n’est plus que l’expression d’une conscience ne légiférant que pour elle-même » (p. 62). L’auteur montre ainsi que ce n’est pas en vain que François Mitterrand désignait les droits de l’homme comme la « philosophie » de la république française : loin d’être uniquement une protection contre l’arbitraire ou le despotisme, les droits de l’homme expriment et réalisent une philosophie profondément subjectiviste, qui dans l’ordre politique, par le biais d’une « démocratisation à étendre sans cesse à tous les domaines » (p. 60)  met en cause l’ordre social et naturel. 

 
L’auteur ne se contente pas d’examiner la philosophie des droits de l’homme, mais s’efforce d’en bien montrer à la fois l’origine et les conséquences. Rappelant que la Constitution civile du clergé, « notre première constitution » (p. 97), qui asservit l’Eglise au suffrage universel, est directement issue de la déclaration de 1789, dont elle mettrait au jour les principes maçonniques, il rappelle également que cette déclaration des « droits de l’homme sans Dieu » (p. 13) a non seulement été initialement dirigée contre l’Eglise, mais obéit à une logique qui s’oppose fondamentalement à la religion catholique : sa « logique interne, voilée et voulue, c’est : «Ni Dieu ni maître» » (p. 34).  Cependant, si l’Eglise, de Pie VI à 1948, juge ces droits de l’homme contraires à la religion et à la société, Jean Madiran met en évidence le revirement qui s’est opéré chez les catholiques, revirement manifesté tout d’abord en 1963 par l’encyclique de Jean XXIII Pacem in terris, puis, malgré quelques réserves à peine exprimées, par les nombreuses références flatteuses de Jean-Paul II aux droits de l’homme. S’il ne recherche pas dans cet ouvrage les causes de ce ralliement des hommes d’Eglise à l’idéologie des droits de l’homme, Jean Madiran se livre à l’évocation d’une Eglise prise au piège d’une loi civile hostile dont elle ne peut cependant se résoudre à critiquer les principes. L’article d’Henri Tinck (La Croix du 22 février 1985) cité par l’auteur apparaît ainsi emblématique d’un catholicisme français condamné à se soumettre au courant dominant.


L’ouvrage de Jean Madiran, s’il n’entend pas, en raison de sa brièveté, apporter des réponses à toutes les questions soulevées par les droits de l’homme, montre donc efficacement la manière dont ils introduisent une logique destructrice de tout ordre social se revendiquant d’une loi naturelle ou surnaturelle, ouvrant la voie à toutes les transgressions. Ainsi, bien que rédigée dans le contexte très particulier de la préparation des célébrations de 1989, sa réflexion conserve toute son acuité, d’autant plus que la complicité de fait de clercs et de journalistes catholiques avec l’idéologie maçonnique des droits de l’homme est loin d’avoir pris fin. L’ouvrage de Jean Madiran constitue donc une excellente introduction au problème que posent ces « droits de l’homme sans Dieu » non seulement pour les catholiques, mais aussi pour tous ceux qui reconnaissent un ordre naturel reçu antérieur à l’expression du suffrage universel, et conduit à s’interroger sur l’effet que pourrait avoir, chez les hommes d’Eglise, le retour au langage clair et sans équivoque de saint Pie X, qui mettait l’accent non sur les droits, mais sur les devoirs exprimés par le Décalogue : « Prêchez hardiment leurs devoirs aux grands et aux petits… La question sociale sera bien près d’être résolue lorsque les uns et les autres, moins exigeants sur leurs droits mutuels, rempliront plus exactement leurs devoirs » (Notre charge apostolique, cité p. 87). 

Louis-Marie Lamotte

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