jeudi 1 décembre 2011

Comment définir l’identité française ? Les écueils d’une tentative : la « charte des droits et devoirs du citoyen français »

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !



Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage
?


Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.



Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Cinq siècles après du Bellay, la France existe encore, mais a bien de la peine à savoir qui elle est, ou ce qu’elle est.
En 2007, M. Sarkozy créait un ministère de l’identité nationale, pour tenter de répondre à cette question. Sans voir, sûrement, que le fait même de se demander qui l’on est, d’essayer d’assigner à son être des critères définis, est la preuve que l’on n’est plus vraiment, sans quoi ce que l’on est paraîtrait évident. Que « je suis » est en effet une évidence première. Au « qui suis-je ? », la première réponse qui vient à l’esprit est tautologique : moi. « L’être est », disait Parménide. Mais qui est ce « moi » ? Du Bellay répond par des lieux, tels la Loire qu’il reconnaît gauloise, c’est-à-dire française, et Liré, son village natal des Mauges, par un climat, la si fameuse « douceur angevine », par une scène vécue, la fumée s'échappant de la cheminée, par une histoire, celle de ses "aïeux". Est-il en effet vraiment possible de définir qui l’on est autrement que par son histoire et sa vie, qui ne sont racontables que par petites touches ?

Mais alors, que dire à ceux qui veulent devenir français ? Pendant des années, la question ne s’est pas posée. Pour devenir Français, il fallait le vouloir, sans qu’il soit question de définition. Pourtant, dans ce « vouloir » était contenu beaucoup, pour la simple raison que la France était unanimement reconnue comme étant quelque chose. Comme étant tout court.

C’est pourquoi le projet de « charte des droits et des devoirs du citoyen français présentée à la signature des demandeurs de la nationalité française » pose question. Il vise à permettre l’application de l’article 21-24 du Code civil, modifié cette année, et qui stipule en son deuxième alinéa qu’« à l'issue du contrôle de son assimilation, l'intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français ». En outre, « cette charte, approuvée par décret en Conseil d'Etat, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française.

On le comprend, tout le problème vient du contenu de ladite charte, se proposant de répondre à la fameuse question « qu’est-ce qu’être français ? ». Une série de principes disciplinaires sont rappelés, ce qui est tout à fait normal, puisque être français, c’est vivre parmi les Français, et par conséquent accepter les comportements qui régissent leur vie en société. Ainsi est-il rappelé que « le corps humain est inviolable » ou que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions ». On trouve aussi de nombreux éléments d’information sur le droit en vigueur en France : « la loi consacre la séparation des religions et de l’Etat »[1], « chacun, homme et femme, peut librement exercer une profession », ou encore « les parents exercent en commun l’autorité parentale ».

Mais, au beau milieu de toutes ces dispositions disciplinaires ou juridiques, on trouve d’étonnants principes idéologiques, complètement subjectifs, qui définiraient, faut-il croire, l’identité française.

Ainsi, le peuple français est-il forcé de se reconnaître « dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et dans les principes démocratiques hérités de son histoire ». Pour être français, il faut donc reconnaître par exemple que « la propriété [est] un droit inviolable et sacré » (article XVII). Les communistes seront sûrement heureux de l’apprendre. Et tous les royalistes, de Charrette à Maurras, qui ne pensent pas que les principes démocratiques soient la panacée, ni surtout qu’ils soient hérités d’une histoire dans laquelle quarante rois ont fait la France, sont sûrement des étrangers. Il est heureux de savoir que, s’il fallait que tous les Français signassent une telle charte, beaucoup n’auraient même plus le droit de prétendre au titre de Français.

Et l’idéologie continue : le peuple français « est attaché aux symboles républicains et les respecte ». Qu’il les respecte est un principe disciplinaire, encore une fois, et en conséquence parfaitement normal. Mais qu’il y soit attaché ? Ceux qui critiquent les paroles de la Marseillaise ne sont donc plus Français, non plus que ceux qui préfèrent le drapeau rouge au drapeau tricolore ou pour qui le 14 juillet est jour de deuil.

La charte impose aux Français une véritable doctrine philosophique : « être citoyen français exige [mot très fort, ndlr] de reconnaître » que « les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droit », que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Tous les théoriciens des privilèges sont donc de facto déchus de leur identité, ainsi que ceux qui pensent que la liberté consiste avant tout, par exemple, à faire le bien. Comprenons-nous : il aurait été tout à fait normal de demander à tout Français de reconnaître qu’il est interdit de faire ce qui peut nuire à autrui[2]. Mais exiger que chacun d’entre eux soit en accord avec une définition précise de la notion si complexe de liberté n’est pas du tout la même chose !

Ainsi, un pays qui ne sait plus qui il est a besoin de déchoir de leur identité de Français la majorité des Français du passé, et de nombreux Français du présent et de l’avenir, parce qu’ils ne pensent pas comme le voudrait une charte édictée en 2011. A moins que l’on exige de ceux qui demandent la nationalité bien plus qu’on ne le fait pour ceux qui l’ont toujours eue, ce qui serait tout aussi anormal. On en est là, et c’est grave.

L’objet, on l’a compris, n’était pas ici de contester les principes philosophiques contenus dans cette charte. Il était de déplorer l’idée même que l’on puisse en imposer certains au peuple français. Car s’il y a bien une « petite touche » qui caractérise la France, c’est sa pensée. Sa pensée libre, produit de sa douceur angevine.

Christian d'Aussois


[1] On ne discutera pas ici le terme « consacre », pourtant très étonnant. On ne voit pas ce qu’il vient faire là. S’il a un sens religieux, alors la phrase se contredit. S’il a le sens de «  sanctionner, adopter par tous un usage ou une coutume », c’est un contresens complet : la séparation des cultes et de l’Etat n’était pas une « coutume » avant que la loi ne vienne l’imposer. Mystère, donc.
[2] Il faudrait alors définir la notion de nuisance, ce qui n’est pas une mince affaire. Mais ce n’est pas notre sujet.

1 commentaire:

  1. Je crois que vous avez conclu, vous-meme: si quelque chose n'est, a coups surs, pas francais, dans cette histoire, c'est bien cette Charte.

    Trouveons lui donc un autre titre aussi ronflant, que pensez-vous de Charte des devoirs mentaux et de la droit pensee du citoyen interplanetaire apatride de la republique universelle et cosmopolitique.

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