mardi 17 janvier 2012

Billet de campagne 4 – Autour de la polémique sur le quotient familial

  

Manuel Valls souhaite supprimer le quotient familial, François Hollande ne veut que le moduler ; on comprend bien, en tout cas, que le Parti socialiste a, en 2012, du mal à comprendre ce fondement de la politique familiale à la française. Il avait pourtant été voté à l’unanimité en 1945, à l’instigation d’un économiste et politicien… socialiste !
 D’une autre époque, direz-vous. Il n’empêche : Adolphe Landry, qui avait généralisé les allocations familiales en 1931 (il était alors ministre du travail dans le gouvernement de Pierre Laval) et participé à la création du Code de la famille en 1939, pensait que l’accroissement des richesses, l’aspiration des familles à davantage de confort, conduirait inéluctablement à l’effondrement de la démographie dans les sociétés modernes. Ce en quoi on ne peut pas vraiment lui donner tort, si l’on exclut le phénomène – conjoncturel, à notre avis – du baby boom. L’homme est attachant, car fidèle à ses idées, quoi qu’on puisse penser de leur contenu : il est l’un des rares de la mouvance radicale-socialiste à s’abstenir de conférer les pleins-pouvoirs au maréchal Pétain, au mépris de sa carrière, et refuse de faire partie de l’Assemblée consultative en 1944, considérant que, n’ayant pas été élue, elle n’est pas l’émanation du peuple. Il était aussi – sûrement – beaucoup plus fin et cultivé que nos candidats actuels à la présidentielle. Paul Reynaud, ministre des finances en 1939, lui assurant qu’il avait foi en la pertinence du Code de la famille, mais que celui-ci coûtait vraiment cher, se vit immédiatement répondre, comme Joad à Abner dans Athalie[1] : « La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ? ».


Vrais et faux débats sur le quotient familial


Pourquoi donc un tel changement ? La gauche (de 2012) explique à qui veut l’entendre que le quotient familial est « connu comme très injuste puisque les plus démunis, non-assujettis à l'impôt sur le revenu, ne peuvent en profiter »[2]. Raisonnement spécieux s’il en est. En effet, ceux qui ne profitent pas du quotient familial sont certes les plus démunis, mais ils profitent d’une mesure bien plus radicale : ils ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Faire profiter les plus démunis du quotient familial signifie donc leur faire payer davantage d’impôt ! En 2009, 53,45 % des ménages français payaient l’impôt sur le revenu ; c’est à eux que doit s’appliquer tout raisonnement valable sur le quotient familial. Il faut en outre souligner que les plus pauvres, en France, ne sont pas exclus du champ d’application de la politique familiale : ils sont bel et bien bénéficiaires des allocations familiales.

Mais à quoi ce quotient familial sert-il vraiment ? Nos politiciens ne le soulignent jamais clairement, car la réponse est difficilement critiquable en soi : ce quotient favorise tout simplement les familles, car plus un ménage compte d’enfants, plus le revenu qui sert de base de calcul pour le montant de l’impôt est réduit[3]. La réflexion sous-jacente est assez simple : elle consiste à considérer qu’un enfant supplémentaire est aussi une charge supplémentaire pour les parents, alors que c’est un bénéfice pour la nation. Ce bénéfice est reversé en partie aux parents, au moyen d’une réduction d’impôt, pour compenser une part de la charge supplémentaire induite. Les perdants de cette politique ne sont donc pas les pauvres, mais les détenteurs d’un revenu moyen ou élevé – les 50 % les plus riches de la population, comme on l’a vu –, célibataires ou n’ayant qu’un seul enfant, voire deux. Dans une telle politique, cette catégorie de personne paie pour les familles, notamment nombreuses.

La clarté du débat politique gagnerait à ce que les partis (quels qu’ils soient) posassent le débat en ces termes, et n’abordassent pas le sujet par des chemins détournés, des arguments vaseux qui ne leur font pas honneur. Espérons que, la campagne montant en intensité, nous verrons poindre un changement à l’horizon en la matière.


La politique familiale, entre philosophie nouvelle et service des intérêts électoraux


Reste la question fondamentale : pourquoi cette méfiance de la gauche envers une telle politique, pourtant bien installée dans les mœurs françaises ? La réponse est difficile et vos commentaires sont les bienvenus. Nous ne formulerons ici que quelques hypothèses. Le ralliement des partis de gauche à l’individualisme libéral en est sûrement la cause profonde : il leur est de plus en plus difficile de raisonner en termes de « famille », car une telle institution semble brider le détenteur originel des droits humains : l’individu. Dès lors, si l’individu prime sur toute société (familiale, locale, nationale, etc.), pourquoi le choix de fonder une famille serait-il plus valorisé que de vouloir rester célibataire ? A ces nouvelles orientations philosophiques s’ajoutent sûrement des raisons purement électorales. Les familles nombreuses, en France, parfois proches du catholicisme, votent plutôt à droite. La bourgeoisie installée, acquise, à Paris et ailleurs, au Parti socialiste, a souvent un ou deux enfants maximum. Peut-être aussi le lobby homosexuel, très influent au Parti socialiste, dont le programme reprend l’essentiel des revendications, a-t-il joué un rôle dans cette affaire, car il ne voit aucun intérêt dans une politique par définition défavorable à ceux qu’il défend.

            Réciproquement, il ne semble pas que l’attachement de la droite parlementaire au quotient familial soit dû à une foi inaliénable dans la famille, comme pouvait la défendre Adolphe Landry. En devenant libérale, la gauche n’a pas converti la droite au socialisme des années 1930 ! L’UMP n’avait sûrement pas prévu que le PS s’attaquât à un tel symbole, et sauta sur l’occasion pour montrer que, loin d’être privée du « monopole du cœur »[4], elle en était désormais plus pourvue que la gauche. A cela s’ajoutent évidemment les éternelles considérations électorales : la base de l’électorat de droite est constituée de familles des classes moyennes ou moyennes supérieures, ayant souvent deux enfants ou plus.

On ne saura donc pas vraiment – au moins pour l’instant – ce que nos candidats pensent de la famille, et de la place qu’ils veulent lui voir tenir dans la société française. Espérons tout au moins qu’ils ne feront pas preuve de la même lâcheté qu’Abner, rétorquant à Joad : « Hé ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ? ».

Christian d'Aussois

[1] http://fr.wikisource.org/wiki/Athalie/modernis%C3%A9e
[2] http://www.liberation.fr/societe/01012383203-le-quotient-familial-n-explique-pas-la-bonne-fecondite-en-france
[3] Le calcul exact de l’impôt sur le revenu est intéressant pour qui s’intéresse de près à la politique fiscale de la France. Il faut noter, pour ce qui est du quotient familial, qu’il favorise plus particulièrement les familles nombreuses, en donnant un coefficient plus élevé aux enfants nés après le deuxième – signe de l’importance qui était donnée, en 1945, à la natalité, très basse en France depuis des décennies. L’article de Wikipédia est, sur ce sujet, très bien fait :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Imp%C3%B4t_sur_le_revenu_(France)#Calcul_du_quotient_familial_et_de_l.27imp.C3.B4t

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