mardi 28 février 2012

Bref tour d’horizon de la discographie de Hasse (1) : Introduction

Faustina Bordoni (1700-1781), épouse et interprète de Hasse

Il a déjà question sur Contre-Débat des raisons de l’éclipse dont a été victime l’œuvre de Johann Adolf Hasse : du bombardement prussien de Dresde en 1760 au mépris pour les supposées « périodes de transition » en passant par les partis pris nationalistes de la musicologie allemande du XIXe siècle, je me suis efforcé de mettre en évidence quelques-uns des raisons qui ont condamné à l’oubli l’un des compositeurs les plus célébrés de son vivant.
A ces raisons s’ajoute cependant une autre raison, non moins décisive assurément : la faiblesse globale de la discographie. Non seulement la discographie de Johann Adolf Hasse demeure quantitativement assez peu abondante, malgré un accroissement lent mais régulier depuis quelques années, mais elle souffre, sur le plan qualitatif, de défauts variés qui contribuent tous à empêcher une redécouverte de la musique du Saxon par le public et les critiques.
On peut tout d’abord remarquer que Hasse a souvent fait l’objet d’assez peu d’intérêt de la part des interprètes les plus connus de la musique baroque ; et l’intérêt ne suffit malheureusement pas à produire un récital. Ainsi, si le contre-ténor Philippe Jaroussky évoquait il y a quelques années son intérêt pour Hasse, son récital consacré à la figure du castrat Carestini ne comporte que deux airs du compositeur allemand, tous deux issus du même opéra (La Clemenza di Tito de 1735, où le castrat tenait le rôle de Sesto), alors même que Frédéric Délaméa, dans la notice qu’il a rédigée pour l’enregistrement du récital, parle d’une « longue série de collaborations » (on pourrait citer l’Ulderica de 1729, l’Arminio de 1745, le Leucippo de 1747 ou le Demofoonte de 1748). Je me suis de même étonné, à la parution du récital de Cecilia Bartoli sur le répertoire des castrats, de n’y trouver aucun air d’un compositeur que l’on associe pourtant si souvent au genre de l’opera seria et si apprécié de ses interprètes les plus éminents. L’œuvre de Hasse a même paradoxalement souffert de la vogue actuelle du répertoire des castrats, représentés aujourd’hui surtout par le plus illustre d’entre eux, Farinelli : si celui-ci estimait fort le Saxon et chanta notamment dans la Cleopatra (1725), l’Artaserse (1730) et le Siroe (1733), il n’en fut pas l’un des interprètes les plus réguliers, de sorte que les assez nombreux – et souvent assez médiocres, surtout lorsqu’ils sont le fait de sopranistes – récitals sur le thème de Farinelli tendent à ne lui accorder qu’une place restreinte, qui de surcroît se limite toujours aux deux mêmes airs de l’Artaserse, Pallido il sole et Per questo dolce amplesso, et font passer le compositeur à l’arrière-plan.
Ce défaut d’attention prêté par les chanteurs les plus réputés, s’il ne suffit pas à résumer les faiblesses de la discographie, semble expliquer du moins en partie son caractère relativement peu étendu : on sait le rôle décisif qu’a joué le récital Vivaldi de Cecilia Bartoli dans la redécouverte de l’opéra vivaldien, jusque-là très largement méprisé, désormais célébré, exécuté et enregistré jusqu’à l’absurde, les intégrales se succédant sans discontinuer.
Les intégrales d’opéras de Hasse, précisément, font gravement défaut : seul un opera seria du Saxon est aujourd’hui disponible au disque (il s’agit de la Cleofide, créée à Dresde en 1731, enregistrée en concert en 1986 par William Christie et la Capella Coloniensis et récemment rééditée). La situation devrait cependant connaître cette année une notable amélioration, avec la parution au disque de la Didone abbandonata de 1742, enregistrée par Michael Hofstetter à Munich, et de Romolo ed Ersilia, l’avant-dernier opera seria de Hasse, créé à Innsbruck en 1765 et donné en août 2011 au festival de musique ancienne de la même ville par Attilio Cremonesi et le Café Zimmermann. A cela il faut ajouter les enregistrements d’autres œuvres lyriques du compositeur, notamment de l’intermezzo tragico Piramo e Tisbe (1768), œuvre atypique fort bien gravée par Michael Schneider et son ensemble La Stagione de Francfort, ou de Marc Antonio e Cleopatra, sérénade de 1725, par Ars Lyrica Houston. Sur un ensemble de plus de cinquante opere serie, sans compter les fêtes et actions théâtrales et les sérénades, c’est peu dire que la musique lyrique de Hasse demeure très largement méconnue. Si l’on trouve ici et là quelques airs, il n’existait pas à ma connaissance de récital Hasse à proprement parler jusqu’à la parution en Allemagne, le 27 janvier 2012, du récital Hasse Reloaded du contre-ténor Valer Barna-Sabadus.
Cependant, les enregistrements d’opéras ou d’extraits d’opéras de Hasse ne se contentent pas d’être rares ; ils sont souvent, hélas, fort mal servis. Si la Cleofide de 1986 reste honnête, notamment grâce à l’orchestre, les chanteurs, à une époque où la renaissance de l’opéra baroque n’a pas encore bénéficié d’un renouveau du bel canto, peinent à répondre aux exigences vocales de l’opera seria. Quant aux récitals qui comprennent des airs de Hasse, ils manifestent parfois des choix curieux : ainsi Vivica Genaux, dans son récital Haendel-Hasse accompagné par les Violons du Roy de Bernard Labadie, enregistre trois airs de style et d’expression comparables au lieu de montrer la variété de la musique lyrique de Hasse. Plus généralement, Michael Schneider, dans la notice qui accompagne son enregistrement de Piramo e Tisbe, note avec beaucoup de justesse que les interprètes ont tendance à ne pas jouer la musique de Hasse et de ses contemporains avec autant de sérieux et d’application qu’ils ne le feraient pour des œuvres de Mozart ou de Haydn. Ainsi, une bonne partie de la discographie existante tend à renforcer l'image d'une musique insignifiante, destinée avant tout aux collectionneurs.

Jean Lodez

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