lundi 20 février 2012

La doctrine oubliée des journalistes catholiques français

Dessin de Michael Ramirez, publié dans l'Investor Business Diary le 3 février 2012

Journaliste au quotidien assomptionniste La Croix, Isabelle de Gaulmyn publiait le 13 février dernier sur son blogue Une foi par semaine une brève réflexion[1] sur l’opposition de l’épiscopat catholique américain à l’Obamacare. L’article s’intitule « La liberté chérie des catholiques américains ». Il s’agit de présenter la résistance catholique au projet du président américain d’imposer le remboursement intégral des coûts liés à la contraception comme une pure et simple défense de la liberté religieuse. « C’est toute une conception de la liberté religieuse qui est en jeu pour les catholiques américains », écrit ainsi la journaliste. La preuve, nous dit-elle, en est que l’épiscopat américain est également soutenu par les catholiques de gauche, alors que, rappelle-t-elle, « plus de 75% des femmes catholiques américaines ne suivent pas les prescriptions de l’Eglise en matière de contraception ». Si les catholiques des Etats-Unis se lèvent pour résister presque unanimement à l’Obamacare, ce n’est donc pas, que l’on se rassure, pour rappeler au peuple chrétien comme aux dirigeants américains l’enseignement de l’Eglise, en vue du salut des âmes : c’est seulement pour rappeler « l’importance de la liberté religieuse ». Les catholiques de France peuvent donc respirer.

Défense du droit à l’objection de conscience ou du Décalogue ?
Ce qu’affirme Isabelle de Gaulmyn n’est pas nécessairement faux à tous égards. On a pu voir, notamment, Michael Sean Winters, ancien soutien catholique de gauche de Barack Obama, accuser celui-ci d’avoir « trahi la philosophie politique de gauche » en s’en prenant à l’objection de conscience[2]. Mais si l’on peut raisonnablement penser que la défense de la liberté religieuse et de la liberté de conscience se trouvent bel et bien à l’origine de la mobilisation d’un certain nombre de catholiques de gauche, l’explication très générale donnée par la journaliste de La Croix rend-elle compte de la position de tous les catholiques américains, et surtout de l’épiscopat ? Mgr Edward Slattery, évêque de Tulsa, ne semblait pas aller dans ce sens lorsqu’il citait avant tout l’encyclique Diuturnum illud de Léon XIII :
Les princes dont la volonté est en opposition avec la volonté et les lois de Dieu, dépassent en cela les limites de leur pouvoir et renversent l’ordre de la justice ; dès lors, leur autorité perd sa force, car où il n’y a plus de justice, il n’y a plus d’autorité[3].
Comme le faisait remarquer Daniel Hamiche, il s’agit de la seule citation faite par l’évêque de Tulsa. Et il ne s’agit pas ici de défendre seulement l’objection de conscience, mais également et surtout l’ « ordre de la justice », « la volonté et les lois de Dieu ». Il s’agit de défendre le Décalogue, la loi morale naturelle inscrite par le Créateur dans tous les cœurs, et non pas uniquement l’objection de conscience, qui ne peut être raisonnablement considérée que comme un ultime recours. Peut-être Mgr Slattery ne représente-t-il pas l’ensemble de l’épiscopat américain, mais il est assez clair que son discours n’abonde guère dans le sens de l’explication donnée par Isabelle de Gaulmyn. Il aurait donc fallu considérer qu’auprès de catholiques de gauche effectivement mobilisés pour préserver le droit à l’objection de conscience se trouvent d’autres catholiques soucieux avant tout de promouvoir le respect du Décalogue.
Restent, dira-t-on, les 75% de femmes catholiques américaines qui ne se conforment pas aux prescriptions de l’Eglise : pourquoi soutiennent-elles leurs évêques sur ce sujet précis ?
L’argument n’a en fait qu’une valeur très relative. L’esprit est ardent, mais la chair est faible, expliquait déjà Notre-Seigneur. « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas », disait encore saint Paul (Rm VII, 19). Parmi les catholiques qui, conformément à leur foi, croient à la réalité du péché originel, il en est sans doute assez peu pour avoir à l’endroit de ce péché une sympathie particulière : ils n’en sont pas moins nés marqués par la tache originelle. Et in peccato concepit me mater mea. Que les catholiques soient, comme tous leurs frères, de pauvres pécheurs, voilà qui n’est pas une très grande découverte. Il est donc tout à fait possible qu’une part de ces 75%, tout en ne se conformant pas dans la pratique à l’enseignement moral de l’Eglise, en admette plus ou moins distinctement le bien-fondé et ne se sente donc pas dans l’impérieuse obligation d’en remontrer à ses pasteurs légitimes : ce qui en effet peut sembler difficile à comprendre si l’on considère qu’il revient à la doctrine de l’Eglise, et, mieux encore, à la loi naturelle, de s’accorder aux nombreux et inévitables manquements, et non l’inverse – difficile à comprendre, en somme, dès lors qu’on a entièrement perdu de vue la signification du péché.

Des points non négociables très négociés
De fait, si l’on relit l’article d’Isabelle de Gaulmyn, l’on s’aperçoit que tout est fait pour relativiser la portée de la mobilisation épiscopale américaine. La journaliste aurait pu s’émerveiller de l’unité des catholiques américains dans la défense des droits de Dieu et de la loi morale naturelle au cœur de la cité ; il n’en a rien été. « Difficile, vue de France[4], de comprendre l’ampleur de la protestation des catholiques américains contre le plan Obama pour la couverture maladie. » « Le problème n’est pas celui de la contraception », nous assure-t-elle. Ce qui doit tout expliquer, ce sont les deux arguments d’une conception « très américaine » de la liberté religieuse et de l’importance d’une philosophie politique libérale hostile à l’Etat aux Etats-Unis. Et, de surcroît, la journaliste n’oublie pas de nous apprendre que des « arrière-pensées politiques » ne sont « pas absentes » du combat des évêques, « affaire d’Etat largement relayée par les candidats républicains ». En bref : c’est une affaire américaine qui ne nous concerne pas, pire, une affaire politique et même partisane, et qui dissimule mal l’hypocrisie de l’épiscopat d’outre-Atlantique. Car, nous dit Isabelle de Gaulmyn, « certains théologiens américains regrettaient, ces derniers jours, que cette question de la conscience ne soit posée de manière spectaculaire que dans des cas de morale sexuelle, et non en matière d’économie ou d’armement ». Voilà qui ne donne guère une image très reluisante de l’épiscopat américain. On ne voit pourtant pas très clairement quel rapport il y a entre les pratiques contraceptives et abortives, intrinsèquement mauvaises, et l’armement, alors que le Catéchisme de l’Eglise catholique affirme que les gouvernements disposent d’un droit de légitime défense (§2308) et que les pouvoirs publics ont « le droit et le devoir d’imposer aux citoyens les obligations nécessaires à la défense nationale » (§2310).
Au lieu de mettre simplement en évidence ce qui rend possible aux Etats-Unis l’affirmation publique par l’épiscopat de la doctrine catholique et des principes de la morale naturelle, doctrine et principes qui valent universellement, ce qu’Isabelle de Gaulmyn a voulu montrer, c’est, précisément, que ce discours épiscopal de résistance ne vaut que dans la culture propre des Etats-Unis, en plus d’être moralement suspect : ce qui est aussi bien dire qu’il n’est pas souhaitable et ne vaut rien chez nous. L’intransigeance de l’épiscopat américain avait quelque chose d’inquiétant : il fallait donc rassurer les lecteurs des blogues de La Croix.
Il s’agit, une fois encore, de suggérer aux catholiques de France que les points non négociables, loin de s’imposer toujours et en tous lieux, sont une doctrine américaine[5] ; mieux, ne sont pas même une doctrine, mais le produit de traditions libérales propres aux Etats-Unis. La défense de la vie, de la morale familiale et sexuelle ne concerne qu’eux : la nécessité en disparaît aux frontières de notre pays. On ne saurait mieux confirmer dans leurs silences ou dans leurs compromis les responsables du catholicisme français. Tout cela ne les regarde pas : on peut piétiner le Décalogue, cela ne justifiera jamais que l’on invoque contre les pouvoirs civils les droits de Dieu et la morale naturelle. On ne saurait mieux non plus remettre en cause l’universelle valeur des commandements de Dieu et des maximes de l’Evangile. Les catholiques français peuvent dormir sur leurs deux oreilles : ce n’est pas le quotidien La Croix qui viendra les réveiller.

Louis-Marie Lamotte




[4] C’est nous qui soulignons.
[5] Jean Madiran relevait déjà, le 14 janvier dernier, la présentation des points non négociables par Isabelle de Gaulmyn comme une « formule de l’épiscopat américain ».  « C’est tout de même une trouvaille (herméneutique ?) d’enterrer les « points non négociables » comme étant une invention de… l’épiscopat américain ! »


1 commentaire:

  1. La dernière phrase est tout à fait juste. La Croix n'est pas là pour "réveiller" les catholiques de France.

    J'ai remarqué dans ce journal, il y a peu de temps, peut-être au début de la série d'attaques contre notre pape, un abaissement de la critique envers le Magistère en général.

    La Croix semblait avoir pris acte de l'injustice de traitement dont souffrait Rome dans les médias français.

    En fait je pense plutôt que la Croix commençait à prendre conscience que le lectorat a changé, que la fidélité à Rome est de retour, que le col romain refait surface.

    Une nouvelle génération émerge qui ne se reconnaît plus dans les vieilles oppositions de la génération 68.

    Le changement de ton du seul quotidien "catholique" de France est frappant, me semble-t-il : la critique est moins franche, elle passe de plus en plus par des articles "témoignages" qui profitent bien souvent de la distance culturelle (Catholiques Américains, Anglicans, Orthodoxes etc.) pour se donner la force d'une apparente objectivité et poser d'autant plus violemment la critique qu'elle se fait par contraste.

    La réponse devient impossible ! La dispute devient impossible ! Tout le monde peut venir ici et vous répondre : "mais Isabelle de Gaulmyn n'a rien dit de tel, vous lui prêtez des intentions absentes du texte".

    Le lecteur plutôt "romain" va percevoir la lutte américaines avec un autre regard d'autant plus facilement que l'article n'aura jamais eu de mauvais mots sur un magistère et une hiérarchie qu'il respecte ; le lecteur plutôt "antiromain" verra dans cet article de quoi alimenter ses critiques contre l'épiscopat du monde entier et sera conforté dans sa relativisation des normes morales de l'Église.

    Bref, la Croix cherche manifestement à plaire à tous ses lecteurs sans pourtant abandonner totalement ses "libertés" avec le magistère, usant de la meilleure méthode pour manier ses deux objectifs contraires : l'omission et le détournement sous couvert d'objectivité par l'usage excessif du témoignage.

    Il faut se rappeler que l'on pêche aussi par omission. Le confiteor nous le rappelle à chaque messe (du moins ce devrait être le cas non ?) ... selon le missel de Paul VI ;)

    RépondreSupprimer

Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.

Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.