lundi 7 mai 2012

Réponse à Bougainville

Notre réflexion sur la réconciliation des catholiques ayant suscité une réponse de Bougainville dans Le Rouge et le Noir (http://www.lerougeetlenoir.org/les-opinantes/reponse-a-louis-marie-lamotte), nous nous permettons de lui répondre à notre tour.

L'abbé Philippe Laguérie, supérieur général de l'Institut du Bon Pasteur, célébrant la messe solennelle de la Pentecôte au pèlerinage Notre-Dame de chrétienté
  

Cher Bougainville,

Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement, et je ne veux donc pas que croyiez que ma réponse procède d’une animosité particulière ou d’un amer acharnement, mais il me semble que vous réitérez dans votre article toutes les erreurs, ou du moins toutes les affirmations contestables que j’avais relevées, sans apporter au débat aucun argument nouveau, quoique je vous remercie d’avoir cette fois-ci donné quelques références supplémentaires.

Les traditionalistes comme catholiques pathologiques…
Je m’efforcerai d’être bref[1]. Je vous prie de me pardonner de commencer par la fin : vous dites ne pas prétendre être un intellectuel. Soit. Dieu seul connaît le fond et le secret des cœurs. Ce qu’il faut s’efforcer d’analyser, c’est la posture que vous adoptez, volontairement ou non, au for externe. Comment parlez-vous des fidèles et des prêtres de la FSSPX, et vraisemblablement des traditionalistes en général ?
Je peux bien comprendre ce qu’il [l’abbé Laurent Touze] entend par "pathologie" : ce fondamentalisme des textes du XIXe ou du début du XXe siècle, fossilisés pour cause de refus de Vatican II, et qui rend le débat très difficile entre fidèles de la FSSPX et fidèles catholiques dits "conciliaires".
Ce que vous affirmez ici est typique du discours de l’intellectuel qui juge de haut les pendables traditionalistes qui n’ont évidemment rien compris et qui sont demeurés à l’écart du renouveau biblique et patristique du milieu du XXe siècle, comme on le répète rituellement dans certains milieux sans se poser davantage de questions. Vous dissimulez mal le profond mépris que vous inspirent ces catholiques pathologiques ; et vous semblez ne même pas voir qu’accuser ses adversaires de sclérose intellectuelle n’a jamais constitué l’amorce, même la plus vague qui soit, d’une argumentation réfléchie. Jésus-Christ est le même, hier, aujourd’hui et pour l’éternité, nous dit l’Apôtre (Hébr XIII, 8). Ou bien le Père des lumières, en qui, nous dit saint Jacques, n’existe aucune vicissitude, ni ombre de changement (Jc I, 17), est-il lui aussi fossilisé, sclérosé ?

Et si les idées simples étaient des idées vraies ?
Non, cher Bougainville, non, ce n’est pas par fossilisation intellectuelle ou spirituelle que les traditionalistes rejettent la nouvelle théologie des années 1950 ; c’est parce qu’ils estiment tout simplement qu’elle est fausse, qu’elle exprime mal les mystères de notre foi[2] ; que ses détracteurs thomistes romains, tels le P. Garrigou-Lagrange, avaient raison ; qu’elle aboutit à ce que l’abbé Victor-Alain Berto appelait une théologie non-euclidienne, définitivement hétérogène à la foi des simples et donc aussi ruineuse qu’inutile : « une science méchante, une science mauvaise, une science maudite », n’hésitait pas à écrire l’abbé Berto dans ce texte que nous devrions méditer plus souvent[3].  
De plus, permettez-moi de vous contredire : ce qui « rend le débat très difficile entre fidèles de la FSSPX et fidèles catholiques dit conciliaires », ce n’est pas le « fondamentalisme » supposé de textes fossilisés (curieuse expression), ce n’est pas l’archaïsme de la « théocratie catholique fantasmée », ce n’est pas la nouvelle théologie des années 1950, ce n’est même pas Vatican II en tant que tel : c’est le fait que les uns ont été catéchisés, et que l’on a largement infligé aux autres une Ecriture démythisée, une catéchèse non dogmatique, une messe anti-liturgique qui n’est même pas celle de Paul VI et qui dans un certain nombre de cas n’est probablement plus la sainte messe catholique[4]. Ce n’était pas sans raison assurément que Jean Madiran s’écriait en 1972, dans sa Lettre à Paul VI : Rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la Messe[5].
Vous ne prétendez pas être un intellectuel, mais il reste que vos vues sont des vues d’intellectuel : car expliquer les difficultés du débat entre les fidèles – car ce sont des fidèles, des paroissiens ordinaires que vous parlez, et non pas des théologiens ou même des prêtres – traditionalistes et « conciliaires » par un attachement soi-disant pathologique des premiers à des textes fossilisés du XIXe siècle que selon toute probabilité ils n’ont jamais lus et ne liront jamais, tout simplement parce que cela ne relève pas de leur compétence et parce que ce n’est pas nécessaire à la conduite de leur vie chrétienne, c’est typiquement une vue d’intellectuel, qui vous fait ignorer des explications aussi simples que justes. Ce qui distingue immédiatement, et souvent ce qui oppose le fidèle traditionaliste et le fidèle « conciliaire », ce n’est pas l’attachement à tel ou tel texte que personne n’a lu, c’est un rapport radicalement différent à la Révélation, à la transmission de la foi et au culte divin : en sorte que vous devriez convenir que les difficultés du débat proviennent vraisemblablement davantage de la pastorale conduite par les épiscopats européens et leur clergé et leurs équipes d’animation que de la fossilisation supposée des têtes traditionalistes.
Mais le tort principal de ces explications est peut-être de n’être pas assez recherchées. C’est, me semble-t-il, un exemple éclatant de la tentation intellectuelle : préférer ce qui est intellectuellement intéressant à ce qui est tout simplement vrai, trop simplement vrai. C’est ainsi, comme le dit l’abbé Berto, que la raison raisonnante en vient à déraisonner, souverainement, n’ayant plus aucune prise sur le réel, le réel n’ayant plus aucune prise sur elle.

L’intellectuel et sa pose
Cher Bougainville, ce que je vous reproche, ce ne sont pas seulement vos idées, c’est aussi et surtout la manière dont vous les défendez – c’est la manière dont vous prenez la pose. Car vous donnez l’impression de croire qu’il vous suffit d’affirmer péremptoirement (« Je persiste et je signe », écrivez-vous sans avancer aucun argument nouveau) pour que vos affirmations, au moyen de quelques formules que vous pensez peut-être frappantes, soient vraies par le fait même, quand bien même vous affirmez n’importe quoi. Il est par exemple absolument faux de dire, quoi que l’on pense de la pertinence de ses choix, que Mgr Lefebvre a placé la conscience et le libre-examen au-dessus du Magistère, alors qu’il entendait au contraire s’appuyer sur des textes et des déclarations à l’autorité très sûre. Il est non moins faux et surtout non moins gratuit de déclarer sans autre forme de raisonnement que la Tradition telle que la conçoit la FSSPX est un « romantisme affectif » et un simple « héritage culturel » comme vous ne craignez pas de l’écrire assez témérairement. La comparaison que vous y ajoutez avec le port du schtreimel par les juifs lituaniens est d’autant plus incongrue, d’autant plus aberrante que les traditionalistes, qu’ils soient de la FSSPX ou des instituts Ecclesia Dei, n’ont cessé de répéter, précisément, qu’ils ne défendaient pas tout d’abord le latin, l’encens et les dentelles, mais le rite traditionnel de la messe, avec sa spiritualité et sa doctrine : ce qu’ils ne feraient assurément pas s’il ne s’agissait que d’un « romantisme affectif » ou d’un « héritage culturel » ; mais il semble que cela vous a échappé.
Il est pour le moins piquant de vous voir déplorer le « manque de charité » de l’abbé Héry « à travers sa rhétorique » (sic) parce qu’il critique le texte, non pas une personne, mais le texte si éminemment critiquable du nouvel offertoire, alors que vous pratiquez joyeusement la réduction de tous vos adversaires au protestantisme ou au progressisme. Il est piquant de même de constater que vous vous trouverez sans doute, vous qui êtes probablement biritualiste, marial, conservateur, parmi les derniers à croire au « schisme » de 1988, alors que le cardinal Castrillon-Hoyos déclarait dès 2003 que l’on ne pouvait dire « en termes corrects, exacts, précis » qu’il y eût schisme ; alors que l’on prie pour le Souverain Pontife à toutes les messes de la FSSPX ; alors que les excommunications de 1988 ont été levées en janvier 2009 et que vous devriez savoir que la stricte séparation entre fidèles de la FSSPX et fidèles des instituts Ecclesia Dei est largement une invention de journalistes (n’en déplaise, du reste, à certains ecclésiastiques de la FSSPX).
Vous avouez du reste vous-même que votre interprétation de l’homélie du Jeudi saint du Pontife romain est ce qu’elle, savoir : une interprétation personnelle. C’est à vos yeux que l’homélie peut être lue comme un avertissement adressé aussi bien progressistes autrichiens qu’aux traditionalistes[6]. A vos yeux, effectivement : car les uns sont presque explicitement nommés, les autres non ; les uns remettent en cause les fondements de la doctrine catholique du sacerdoce, les autres non.
De même auriez-vous pu mentionner que la seule liturgie vraiment antique de ces anglicans qui, grâce à Dieu, reviennent dans le sein de notre Mère l’Eglise romaine, le Livre de la Prière Commune de Cranmer, n’est pas une messe, mais un service de communion clairement hérétique, et qu’il s’agit peut-être de la raison pour laquelle ils n’en exigent pas la libéralisation[7]. Mais peut-être vous ai-je ici simplement mal compris.
Vous faites manifestement partie de ceux qui pensent que les traditionalistes sont un problème pour l’Eglise, et qu’il convient donc de les réprimer ; l’approbation bruyante que vous faites de la bien triste note adressée à l’Institut du Bon Pasteur le montre assez. C’est après tout votre droit ; vous êtes libre de vos opinions. Mais que vous laissiez ainsi entendre, en vous posant en vigilante sentinelle de la sainte Eglise, qu’il faudra en cas d’accord placer la FSSPX sous haute surveillance pour réprimer la moindre critique faite à la nouvelle messe ou aux innovations les plus contestables, et que vous osiez affirmer en même temps que vous souhaitez une pleine réconciliation, voilà qui est tout à fait singulier et qui serait plaisant si ce n’était sérieux, car, à moins d’une entière méconnaissance du sujet, on ne peut mieux vouloir une chose et son contraire.  
A la lecture de vos articles, il est donc difficile de s’empêcher d’éprouver un double sentiment de manque de sérieux et de suffisance : de manque de sérieux, parce que vous donnez l’impression d’écrire tant sur les traditionalistes que sur le reste de l’Eglise de manière complètement irréelle ; de suffisance, parce que chez vous l’affirmation et la formule, même les plus incongrues, semblent tenir lieu d’arguments, et que la posture que vous adoptez, la pose que vous prenez, celle du catholique exemplaire, qui a évidemment tout compris et revendique hautement son humilité, comme si cette vertu se décrétait, semble justifier à vos yeux que vous teniez pour acquis et pour évident que ces traditionalistes que vous regardez de si haut sont des malades ou des fossiles.
Car il faut bien dire qu’à vous lire, l’on comprend sans peine que le débat entre fidèles de la FSSPX et fidèles « dits conciliaires » soit si difficile.

Louis-Marie Lamotte


[1] Je précise à ce propos, n’ayant pas le temps et le loisir d’aborder les multiples sujets dont il est question, que je fais miennes les savantes objections avancées sur Le Rouge et le Noir par Tancrède et par Boniface.
Je note par ailleurs, cher Bougainville, que vous n'apportez, sur le chapitre de la communion sous les deux espèces, aucun argument nouveau ; je n'ai donc pas pris la peine de vous répondre à ce sujet. Vous ne communierez pas plus et pas mieux au Corps et au Sang de Notre-Seigneur en communiant au calice qu'en n'y communiant pas.
[2] Même l’abbé Gitton, partisan de la nouvelle théologie, et qui affirme n’avoir aucune sympathie pour le thomisme des années 1930, demeurait mal à l’aise devant l’assurance avec laquelle Gérard Leclerc le disqualifiait dans son Rome et les Lefebvristes (Salvator, 2009) : « La scolastique a marqué l’enseignement de l’Eglise pendant toute la période qui précède le Concile, c’était l’horizon intellectuel de la plupart des Pères, elle a donné un Maritain et d’autres penseurs non négligeables. Ses insuffisances et ses raideurs n’empêchent pas qu’elle a porté certains aspects du dogme avec lequel l’approche plus existentielle et historique des théologiens de Fourvière a eu parfois un peu de mal. »
[4] Je parle ici des liturgies auxquelles on peut malheureusement assister dans un nombre non négligeable de paroisses et surtout de groupes de catéchisme et d’aumônerie, même à Paris ; liturgies que des partisans de la messe de Paul VI en latin regroupent assez justement sous le nom de rite infra-ordinaire.
[5] Réclamations au Saint-Père, NEL, 1972, p. 13
[6] « De mon point de vue, donc, l’homélie du pape peut être lue aussi bien pour les progressistes rebelles autrichiens que pour les traditionalistes anciennement rebelles de la FSSPX. »
[7] Peut-être faites-vous allusion à d’autres livres liturgiques anglicans, mais ceux-ci sont loin d’être « antiques », à moins que vous ne parliez du rite du Sarum, qui n’est pratiquement pas utilisé et relève donc quasiment de l’archéologie liturgique.


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