vendredi 20 juillet 2012

Artaserse (1730) de Hasse à Martina Franca

Le 14 juillet dernier, la radio italienne (Radiorai3) diffusait en direct du festival du Valle d’Istria à Martina Franca l’Artaserse, opera seria de Johann Adolf Hasse sur un livret de Métastase. La version proposée était celle de 1730, soit la première mise en musique du livret par le Saxon, qui a profondément réaménagé la partition en 1740 (dix arias nouvelles) pour des représentations à Dresde ; le rôle de Mandane, notamment, initialement confié à Francesca Cuzzoni, a alors été largement réécrit pour l’épouse du compositeur, Faustina Bordoni. En 1760, Hasse est revenu une dernière fois au livret de Métastase pour une partition créée au San Carlo de Naples qui ne conservait que trois airs de la version de 1730.
C’est cependant la première mise en musique de l’Artaserse qui est demeurée la plus célèbre, notamment en raison de sa prestigieuse distribution. Créée à Venise en 1730 sur un livret assez nettement remanié par Domenico Lalli (comme en témoignent les deux airs les plus célèbres de l’opéra, Per questo dolce amplesso et Pallido il sole, qui n’apparaissent pas sous cette forme dans le livret originel de Métastase), elle bénéficia en effet du concours de Farinelli (dans le rôle d’Arbace), de Francesca Cuzzoni (Mandane) et de Nicolini (Artabano), interprètes alors au sommet de leur renommée, et servit de base au pasticcio Artaserse monté à Londres à l’occasion du voyage de Farinelli en 1734. L’intrigue, située dans la Perse antique, met en scène les complots d’Artaban contre le roi Artaxerxès, qui se distingue finalement par sa clémence en graciant Artaban après que celui-ci a reconnu l’innocence de son fils Arbacès.
La représentation de l’opéra à Martina Franca en juillet 2012, première recréation mondiale de l’œuvre depuis le XVIIIe siècle, revêtait donc une importance considérable. Elle a permis la redécouverte de l’un des opéras les plus populaires du XVIIIe siècle, malgré des coupes considérables, notamment dans les récitatifs ; contrairement à l’équipe de Michael Hofstetter dans la Didone abbandonata jouée à Versailles en mars 2012, Corrado Rovaris et ses chanteurs ont épargné les da capo, ce qui permettait du moins de préserver l’équilibre musical des airs.
L’œuvre, de même que la Cleofide de 1731, témoigne du style du jeune Hasse, simple, chantant, extrêmement élégant et « galant ». Les airs, en raison peut-être de leur nombre et de la longueur du livret, n’atteignent pas l’ampleur que le Saxon a pu leur donner dans sa carrière ultérieure ; ils se distinguent cependant par leur richesse mélodique et la beauté de leurs ritournelles, ainsi que par leur variété. C’est à Arbace que reviennent les airs les plus virtuoses, Fra centi affanni et cento, où l’agitation des cordes traduit le trouble du héros, et surtout Parto quel pastorello, mais aussi l’air pathétique qu’est Per questo dolce amplesso, tandis que Mandane exprime tant la confiance sur un mode galant (Conservati fedele, premier air de l’opéra) que la colère (Va tra le selve ircane). Si les récitatifs accompagnés sont moins nombreux qu’ils peuvent l’être dans des œuvres plus tardives (telles le Romolo ed Ersilia de 1765, recréé à Innsbruck en 2011), on peut signaler le superbe récitatif obligé d’Artabano à la fin de l’acte II.
L’interprétation, conduite par Corrado Rovaris à la tête de l’ensemble baroque de l’orchestre international d’Italie, demeurait très correcte quoique parfois légèrement brouillonne, du moins à ce que laissait entendre la retransmission radiophonique qui sert de base à cet article. Certains choix, notamment celui d’un tempo très lent pour l’air Pallido il sole d’Artabano, pouvaient surprendre, mais se sont révélés assez efficaces et expressifs. Le contre-ténor Franco Fagioli, dans le rôle très exigeant d’Arbace, s’est particulièrement distingué en parvenant à conserver au rôle son caractère héroïque, même si l’ensemble de la distribution s’est montrée convenable. On ne peut que féliciter le festival du Valle d’Istria de l’originalité de sa programmation et souhaiter que cette encourageante résurrection d’un chef d’œuvre de l’opera seria donnera lieu d’une part à un enregistrement, d’autre part à la multiplication d’initiatives comparables en faveur d’un répertoire trop négligé.

Jean Lodez

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