lundi 29 octobre 2012

L'apparition de la haine généralisée de la Raison (1950-1980)

« C’est toi que j’invoque, ô Christ ! C’est de la
couleur de Ton Sang versé pour nous,
dont nous avons teint les étendards populaires. »
Jules Alix
(membre du Conseil de la Commune de Paris)
Paroles de combat
« Sur un vieux fond de mysticisme chrétien et
de spiritualité catholique, je suis à la fois
nietzschéen et marxiste. »
Antoine de Saint-Exupéry
Propos rapporté par Jean Mermoz
« Cette façon en quelque sorte gallicane
de penser religieusement l’athéisme,
comme un croyant vit sa foi, est un des
traits caractéristiques de bien des
Français d’aujourd’hui. »
Comte Hermann von Keysserling
Analyse spectrale de l’Europe



En ce qui concerne les années 1950-1980, le schéma de l’histoire politique qui prévaut est à peu près celui-ci : les « forces démocratiques » (bourgeoisie classique – « droite » – centre – démocratie chrétienne) auraient fait chorus contre un « danger » omniprésent, représenté en France par le Parti Communiste : le « totalitarisme ». En outre, « à l’extrême gauche » se serait située une terra incognita de groupuscules pouvant entraîner à diverses aventures, depuis une dictature un peu plus plombante que celle des « staliniens » jusqu’à une sorte d’anarchie libertaire. On oublierait presque de citer de très petits partis ou courants dits de « nouvelle gauche », ainsi que les « chrétiens de gauche », qui soulevaient parfois des questions hors du cadre politique convenu.

On le voit : ce schéma ne permet pas du tout de comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle. En effet : la bourgeoisie classique achève actuellement de disparaître, pratiquement anesthésiée et stuporeuse, le Parti Communiste a été éradiqué, aucune dictature d’extrême gauche n’a pointé à l’horizon. Et aucun char russe n’a été aperçu place de la Concorde.
Voici ce qui est très étrange : en moins de trente ans les gens habituellement désignés comme les plus dangereux en politique (la méchante droite avec ses matraques et ses CRS, les horribles communistes avec leurs camps et leur KGB) ont été mis hors d’état de nuire (par qui donc ? et pourquoi ?), cependant la France est moralement, spirituellement ravagée, dévastée, à l’agonie ; elle achève de s’effacer sous une emprise idéologique interdisant toute définition et application d’une politique élaborée hors d’un « nouvel ordre », dont l’histoire de l’apparition n’a peut être pas été écrite de manière satisfaisante.
Je vais proposer quelques idées permettant peut être de mieux comprendre cette histoire bizarre.
Méthode : je vais approfondir certains rapports entre groupes spirituels, politiques ou sociaux qui ne semblent pas totalement clarifiés et élucidés. J’introduirai peu à peu ces groupes dans mon exposé, pour dessiner enfin un schéma qui se révélera peut être digne d’intérêt pour résoudre l’énigme politique évoquée ci-dessus. Auparavant une courte note sur un point de méthode et d’histoire.


Note sur l’histoire des hérésies et des types d’athéisme


De même qu’il y a une histoire des hérésies, il y a évidemment une histoire de l’athéisme, des « types d’athéisme ». On pourrait dessiner une sorte de « spectre historique de l’athéisme » où l’on croiserait par exemple le jouisseur un peu stupide, le jouisseur ratiocinant de type sadien, le scientifique intègre mais demi-savant c’est-à-dire scientiste, le petit pervers moderne, calculateur et méthodique et ainsi de suite. Certains sont des esthètes assurés, d’autres des petits bourgeois timides, certains ont été manipulés, d’autres ont développé un orgueil démesuré. On a évidemment parlé aussi d’ « athées religieux ». Ainsi dans l’Europe moderne des « athées » sont catholiques et des « catholiques » sont athées selon von Keysserling.
Ces types d’athéisme apparaissent bien sûr historiquement et socialement suivant la distance à la nécessité et à l’urgence du travail : être un athée pervers et nihiliste suppose évidemment qu’on ait la chance d’être à l’abri des nécessités de la vie quotidienne ; et que l’on use fort mal du temps de loisir ainsi disponible.
Il n’est évidemment pas question ici de faire de l’érudition historique sur le problème de l’athéisme : je veux seulement rappeler que diverses dispositions mentales sont historiquement et socialement à l’origine de l’athéisme et de l’ignorance, ou du refus, de la vraie religion.
« Spectre de l’athéisme »
Athéisme « religieux »
Athéisme « scientiste »
Athéisme du zombie sensualiste
…………………………………
J’illustre avec un exemple.
Ce sont indiscutablement les pratiques d’examen de conscience et les pratiques de pénitence qui ont nuancé peu à peu la conscience occidentale.
L’histoire du christianisme, c’est, entre autres, l’histoire des nuances morales acquises par l’esprit humain au cours des siècles en Occident.
Ces faits sont habituellement reconnus même par les historiens et philosophes athées, plus précisément par les historiens et philosophes athées d’obédience rationaliste.
Les athées conséquents et rationalistes reconnaissent généralement l’importance historique fondamentale du christianisme pour le développement de la conscience humaine, ils le considèrent généralement comme une étape dépassée mais essentielle de la pensée humaine.
 
Les athées irrationalistes et sensualistes sont persuadés à l’inverse que le christianisme fut un carcan limitant la liberté et ne lui concèdent aucune fonction historique essentielle, en toute « logique illogique » d’ailleurs puisqu’ils refusent implicitement de considérer les questions morales et politiques dans toute leur complexité.
L’athée intelligent reconnaît au moins ceci que la complexification et l’ « épaississement » – la complexité et l’épaisseur – de la conscience, et donc des relations sociales en général, est corrélative du développement des pratiques d’examen de conscience et de pénitence par le christianisme.
Pour l’athée vulgaire, l’histoire n’est qu’un immense terrain où s’entrecroisent et s’entrechoquent des passions subjectives. L’ensemble n’a aucun sens au-delà des satisfactions individuelles ou « claniques ». Son horizon est des plus courts.
Je reviens à mon sujet proprement dit, l’histoire politique récente de la France et l’apparition d’un nouveau mode de domination idéologique, et je commence à dessiner le schéma annoncé.


Catholicisme intransigeant et marxisme


Si l’on accepte de lire les textes et de considérer sérieusement que le marxisme se veut une théorie de la recherche consciente de la justice sociale, on perçoit immédiatement au moins ceci qu’il faut exclure le marxisme de la basse catégorie de l’athéisme jouisseur. Le marxisme dispose, par exemple, de méthodes spécifiques élaborées ; on peut discuter à l’infini de leur valeur : on ne peut en aucun cas soutenir de bonne foi que le marxisme est un sensualisme brutal.

Or l’athéisme jouisseur et le sensualisme brutal, qui ne se posent pas trop de questions de conscience avant d’agir, nous les connaissons bien, et ils pèsent plus lourd aujourd’hui dans nos villes que la dialectique marxiste, si elle est encore pratiquée, ce qui n’est pas évident. Je veux dire qu’il y a dans les villes françaises aujourd’hui plus de jouisseurs tordus et de brutes épaisses que de dialecticiens marxistes ! Et, on l’a compris, je veux dire surtout qu’ils n’appartiennent pas du tout à la même « filière historique », que leurs mentalités sont antinomiques et sont issues de processus politiques et historiques totalement différents.
Comment s’articulent donc précisément christianisme et marxisme ? C’est un sujet grave qui n’est pas souvent traité avec tout le sérieux et tout l’effort documentaire qu’il mériterait hors d’un très petit cercle de spécialistes d’histoire de la philosophie.

Concernant l’interprétation de l’articulation des conceptions marxistes sur le christianisme, l’articulation historique et spirituelle du christianisme et du marxisme, la bibliographie spécialisée est immense mais peu connue et exploitée. Non seulement il est impossible d’exposer les travaux des érudits à ce sujet mais il est même impossible, dans le cadre de cet article d’exposer un résumé des synthèses existantes.
Comment avancer alors ? Eh, bien, je vais apporter un « minimum vital » sur le sujet qui permettra simplement de comprendre que le problème existe et qu’il est considérable. Cela suffira, car, ce que je veux montrer ici, on comprendra pourquoi bientôt, c’est que la doctrine marxiste pose des problèmes cohérents. C’est tout ! C’est tout et c’est beaucoup à la fois car une doctrine qui pose des problèmes cohérents appartient indiscutablement au groupe des doctrines rationalistes, c’est-à-dire tendant à appliquer le principe de raison. Je le répète : c’est uniquement cela que je veux montrer.

Comment montrer qu’un problème complexe existe alors même qu’il est trop complexe pour que sa discussion soit résumée ? J’ai choisi la méthode suivante : extraire de livres de vulgarisation (le plus souvent des essais philosophiques ou à prétention philosophique) des citations-choc évoquant le problème. Il va de soi que je ne n’adhère pas à pas l’ensemble de ces propositions, d’ailleurs incompatibles entre elles et parfois proches du délire, et présentées par ces citations courtes sous une forme assez choquante parfois[1].
Et à propos des rapports entre le marxisme et la foi, il me semble qu’il suffit de dire ceci une fois pour toutes : la foi doit résister à l’exposé de toutes les doctrines, et de tous les arguments, des athées, y compris les plus « fortes » présentées dans toute leur teneur et toute leur étendue et non seulement connues en des versions pâlichonnes et édulcorées, ad usum delphini.
-« En 1214, c’est l’année de la bataille de Bouvines, en Berry, une révolte de serfs dits « pastoureaux », proclame l’égalité universelle et l’avènement du Saint-Esprit… »
-« Des historiens, et non des moindres, ont constaté que toutes ces révolutions étaient inconsciemment issues de la pensée chrétienne »
-« Sans le savoir, les révolutions sont, en quelque sorte, la transposition au temporel d’une part du contenu spirituel du christianisme »
-« Marx ce sont les marchands chassés du Temple sans retour possible. »
-« Marx, qu’on le veuille ou non, c’est l’essentiel de la doctrine christique émergeant dans la réalité quotidienne des peuples. »
-« La philosophie de Marx réintroduit la morale des Evangiles dans le corps social et l’y fait vivre. »
-« Lénine et la Révolution d’Octobre appliquent l’essentiel de la doctrine christique à un pays représentant un sixième des terres émergées. »
-« Il n’est dit nulle part que la réalisation de la prophétie christique n’est pas pour ce monde. »
-« Dans l’œuvre de Marx, l’athéisme n’est nulle part, jamais formulé. »
-« Reconquérir un paradis perdu par d’autres voies que celles de la méditation et de la prière »
-« Poursuivre l’accomplissement des destinées de l’homme dans sa recherche collective de Dieu »
-« Surmonter les formes classiques, sans être ni laissées pour compte de l’histoire, ni sans objet sur le plan divin »
-« Convergence entre l’espérance christique et le réalisme progressiste »
-« L’athéisme n’est pas nécessaire à mon système. » (citation souvent attribuée à Marx)
Quelque soit l’appréciation que l’on porte sur ces affirmations, ce qui est indiscutable me semble-t-il, c’est qu’une doctrine qui ouvre à des débats philosophiques et historiques d’une telle envergure est d’optique rationaliste.

Je pense que l’on m’accordera maintenant que christianisme et marxisme ont ceci en commun qu’il s’agit de doctrines faisant place à la raison[2], de doctrines tendanciellement rationalistes. Dans les deux cas il ne s’agit ni de subjectivisme, ni d’illuminisme, dans les deux cas nous sommes aux antipodes de l’irrationalisme sensualiste ! Le marxisme est un système qui peut sembler étrange mais pensé et systématisé, à prétention scientifique[3] tout comme la théologie morale par exemple.
Un autre point considérable transparaît, mais qui est hors de notre sujet[4] : l’élaboration de la doctrine marxiste ne se laisse peut être pas penser hors du christianisme !
Remarquons maintenant pour renforcer notre point de vue qu’un « dialogue » peut éventuellement s’instaurer entre marxistes et « chrétiens rationalistes », mais jamais entre marxistes et « chrétiens irrationalistes » (personnalistes, sensualistes, subjectivistes).
Entre marxistes et chrétiens rationalistes, il y a des préoccupations communes[5], un « équipement mental » commun[6].
Entre marxistes et chrétiens subjectivistes, on ne voit vraiment pas ce que pourrait être un échange intellectuel. !

Continuons à creuser cette étrange histoire politique récente.
J’ai, curieusement, rapproché le christianisme et le marxiste, parce qu’ils ont indiscutablement un point commun qui est le nécessaire usage de la raison.
Comme souvent pour comprendre plus profondément la réalité, il faut séparer ce qui semble proche et rapprocher ce qui semble séparé. Je poursuis avec la même méthode. On me dira si l’ensemble est cohérent.


Marxisme et gauchisme anti-stalinien


Nous avons rapproché contre toute attente christianisme (christianisme intransigeant) et marxisme. Inversement il y a peut-être des rapprochement implicites qui sont à examiner avec un regard très critique.
L’athéisme marxiste-rationaliste est d’autant plus conscient de ce qu’il doit au christianisme qu’il s’en veut pro parte la réalisation sur la terre, ce qui n’est pas peu, ce qui est peut être un péché d’orgueil démentiel.
Contre cette prétention rationaliste, des groupes gauchistes ou gauchisants[7] vont développer un anti-stalinisme, un anti-communisme qui en feront les meilleurs alliés des ennemis de Moscou, qui sont aussi en l’occurrence les plus zélés adversaires de la raison et les meilleurs serviteurs du mondialisme financier.
Les anti-staliniens ainsi guidés et conseillés auront bientôt jeté par-dessus bord les problématiques morales et politiques sérieuses[8], et se trouveront confinés dans une macération individualiste, sensualiste et psychologisante.
Contre le communisme à tendance rationaliste, certains gauchistes vont développer un irrationalisme généralisé nécessaire à l’établissement du capitalisme mondialiste en France.
Ce sera la fabrication industrielle du bobo, du redoutable bourgeois de gauche.
On vérifie ici qu il y a un abîme mental et moral entre l’athéisme marxiste et l’athéisme gauchiste ou gauchisant.
Marx Gauchistes irrationalistes
Conscience historique Zombisme historique
Conscience Non-conscience
Morale politique Hédonisme


Catholiques intransigeants et chrétiens de gauche


Ici, je n’ai rien à apprendre à mes lecteurs ! Une remarque seulement : on constate que le rapport entre les catholiques intransigeants et les chrétiens de gauche a quelque chose d’analogue au rapport entre les marxistes et les gauchistes anti-staliniens. Dans les deux cas, on peut dire qu’il s’agit d’une opposition à une doctrine constituée par des fractions récalcitrantes à un certain usage de l’intelligence et de la raison.


Chrétiens de gauche et gauchistes antistalinien

 
Poursuivons.
De même que nous avons rapproché catholicisme intransigeant et marxisme pour leur rationalisme tendanciel (et leur filiation historique), de même que nous venons de séparer marxisme et gauchisme, de même que l’opposition de fond entre catholicisme intransigeant et « chrétiens de gauche » nous est évidemment bien connue, de même il faut sans aucun doute enfin rapprocher la pensée gauchiste hédoniste et le christianisme de gauche et certaines hérésies modernistes de type subjectivistes ou personnalistes. C’est indiscutablement la même disposition mentale irrationaliste et hargneuse qui est à la base de ces deux types de fonctionnement.
La religiosité « irrationnelle » (bric à brac religieux, religion à la carte, syncrétisme, œcuménisme) est strictement équivalente, ou, plus techniquement, strictement isomorphe, à la politique irrationaliste gauchisante, anti-marxiste et anti-catholique ! C’est la même disposition mentale, celle de la nouvelle petite bourgeoisie hédoniste hargneuse qui est à l’origine de ces deux modes de fonctionnement en apparence très éloignés !

On pourrait aller plus loin et étudier en détails l’isomorphisme profond entre le « christianisme de gauche » et l’ultra-gauche anti-marxiste, et anti-catholique[9]. Ce sont les mêmes structures de pensée, le même recyclage des adultes, les mêmes notions « humanistes » fourmillantes, creuses et retorses (tolérance, égalité, accueil, différences), le même confusionnisme pseudo-moral, les mêmes tendances hystéroïdes, la même duplicité, la même haine du peuple.
Ou, en abrégé : il est finalement presque impossible de distinguer un bavardage humaniste de chrétien de gauche d’un bavardage humanitaire de gauchiste, la haine d’un chrétien de gauche contre les petites gens de la haine d’un gauchiste contre le peuple français, une cervelle de chrétien de gauche d’une cervelle de gauchiste.

Résumons les acquis par deux schémas.
Les apparences et idées reçues
Catholiques intransigeants Marxistes
Chrétiens de gauche Gauchistes,
humanitaires, « bobos »
La réalité profonde et les filiations historiques vraies
Catholiques intransigeants Marxistes
Chrétiens de gauche Gauchistes,
humanitaires, « bobos »
: Proximité (relative !) historique et doctrinale
: Opposition historique et doctrinale
Ou, lapidairement : Saint Thomas est sans doute plus proche sous certains aspects de Marx que d’un gauchiste tiers-mondiste larmoyant ou à fortiori que d’un charismatique « à l’écoute » de son « moi profond » ! Sous les apparences, le thomisme est tendanciellement proche du marxisme (rationalisme) alors que le néo-catholicisme est tendanciellement parent de l’hystérie politique (subjectivisme) !
Une machine de guerre contre la raison
« Ce qui tient lieu de politique » depuis la grande décivilisation de 1981 fonctionne avant tout sur un mode irrationaliste-sensualiste.
Question : comment en est-on arrivé là alors que les deux grandes doctrines en vigueur en Occident au XXe siècle furent indiscutablement le christianisme et le marxisme, c’est-à-dire la vraie religion d’une part, un rationalisme orgueilleux et plutôt hypertrophié d’autre part ?
Je pose comme hypothèse lourde qu’il y a eu durant des décennies avilissement systématique (c’est-à-dire avec idiots utiles, vulgarisateurs, intermédiaires, répétiteurs) de la théorie et de la doctrine marxiste et du catholicisme, tendanciellement rationalistes, pour autoriser l’installation et la généralisation d’un irrationalisme généralisé.
Et que cette installation fut la fonction essentielle des -des chrétiens de gauche -des gauchistes anti-staliniens -des esthètes et artistes, par ordre d’entrée en scène et par ordre d’importance idéologique.
Tous soutenus par des agences complaisantes.

Je vais détailler maintenant comment une idée quasi-obsessionnelle fut en particulier le vecteur et la justification d’un abandon discret et largement inaperçu des facultés mentales supérieures. Processus discret et pourtant ce qui a pris la place de l’exercice de ces facultés est notre quotidien : une sinistre et incoercible bouillie verbale à prétention humaniste.
On sait que le grief le plus commun et le plus redondant contre le marxiste fut sa propension au « totalitarisme ». On sait aussi aujourd’hui que cette notion est restée bien floue.
Or, ce qui est certain, c’est que très vite s’installa une confusion, un « glissement sémantique », comme l’on dit, entre totalitarisme, totalitaire et totalité, totalisation. Puis entre totalitarisme et rationalisme.
Focalisés sur les « dangers » d’un « totalitarisme » dont ils auraient été bien incapables de montrer l’existence, la plupart des penseurs de ce temps ont su d’autant moins repérer le véritable danger, l’irrationalisme, qu’ils en participaient implicitement, ne serait-ce que par cette dénonciation obsessionnelle du totalitarisme !

Remarquons encore ceci que dans leur critique impitoyable et parfois incompréhensible du marxisme, les « humanistes » se trouvaient en étrange compagnie : anarchistes, esthètes, dilettantes et oisifs, et tous les trafiquants et financiers mondialistes de tous poils. Il y avait unanimité contre le marxisme, contre une doctrine à tendance rationnelle. Cela pose singulièrement question !
Le délire « anti-totalitaire », auquel bien peu d’intellectuels et d’universitaires n’ont pas fourbi un petit complet mécanique et automatique, fut en fait essentiellement lui-même un irrationalisme, un délire anti-rationnel qui visait en principe le soi-disant « totalitarisme » mais qui atteint essentiellement la rationalité.
Glissement de l’anti-totalitarisme à l’anti-rationalisme
Totalitarisme –Totalitaire
Totaliser – Totalisation
Raisonner – Raisonnement
Ordonner – Hiérarchiser
A qui profitait donc cette peur panique du « totalitarisme », cette terreur anti-totalitaire générale ? La réponse est simple mais devra être précisée : à certains « irrationalistes » qui pouvaient avancer sans bruit[10] leurs pions.

Une telle unanimité dans l’attaque d’un ennemi finalement largement fantasmatique, il faudra y revenir, conduit à penser qu’il est fort probable que des organisations intéressées agitaient habilement la marionnette du « totalitarisme » tandis que se mettait en place l’hydre de l’irrationalisme.
Pendant que de bons esprits tapaient sur un ennemi imaginaire (le marxisme) se mettait donc en place l’irrationalisme et le sensualisme généralisés qui n’autoriseront bientôt pas même l’esquisse de l’ébauche du commencement d’une pensée ordonnée. J’insiste sur cette hypothèse : on s’occupe de lutter contre un ennemi bien voyant et bien repéré (l’Armée rouge) et pendant ce temps « d’autres » s’activent pour mettre en place un front entièrement différent, attaquant directement l’esprit.
Irrationalisme qui va pénétrer et conquérir bientôt en toute logique irrationnelle c’est-à-dire en toute liberté débridée, l’art et la culture, l’esthétique. Ce sera bientôt la culture culturelle, l’abrutissement culturel permanent, surtout par la musique, qui tiendra lieu de socialisation. Il faudra détailler longuement.
Pour l’instant, notons seulement que l’irrationalisme induit par le soi-disant « anti-totalitarisme » répété et ressassé laisse les individus par un état « pré-doctrinal » incapables d’appréhender et de soupeser les doctrines et donc de choisir des options religieuses ou philosophiques en conscience.
C’est donc bel et bien conjointement contre les deux conceptions rationnelles ou tendanciellement rationnelles du monde (christianisme et marxisme) que furent lâchés les déferlantes de l’irrationalisme sensualiste.

Parce qu’il s’agissait des deux seuls et uniques systèmes à prétention rationnelle l’un fondateur, l’autre issu de la civilisation occidentale qui furent en « concurrence » tout au long du XXe siècle. La déchristianisation et la « démarxisation » condamnent à vivre dans un monde aux horizons courts.
Précision importante : ma démonstration est sous-tendue par l’idée, ou l’intuition, ou même l’expérience, que l’irrationalisme débridé peut conduire beaucoup plus loin dans la confusion, dans l’injustice et dans l’horreur qu’un « rationalisme hypertrophié » de type soviétique. On commence à apercevoir dans ce pays quelques dégâts de la déferlante irrationaliste. Mais ce n’est qu’un modeste début. Il ne faut pas oublier en outre que cet irrationalisme va concerner, très rapidement, l’ensemble de la planète.

Conclusions

1


Vers 1960, on observe donc une chose assez singulière : des chrétiens et des militants de l’ultra-gauche partagent les mêmes phobies, les mêmes manies verbales, les mêmes mépris, la même hypocrisie. Chrétiens de gauche et ultra-gauche mèneraient-ils souterrainement, en catimini, le même combat. Et quel combat ?
Un combat généralisé contre la raison.
En gros : après l’introduction d’un confusionnisme moral général (anti-colonialisme et tiers mondisme masochistes et suicidaires notamment) par les « chrétiens de gauche » vers 1950, les ultra-gauchistes (manœuvrés évidemment) furent chargés vers 1970 de poursuivre l’avilissement de la théorie marxiste « rationaliste » et du catholicisme intransigeant et de développer en lieu et place un subjectivisme irrationaliste, sensualiste, sentimentaliste ; pire : geignard et pleurnichard.
Ainsi ont été rongés, grignotés, les méchants bourgeois et leurs CRS et les horribles communistes et leur KGB. La vieille bourgeoisie française et le peuple, « embrigadé » mais resté peuple, qui constituaient encore vers 1960 deux obstacles sérieux à l’installation en France du capitalisme mondialiste acéphale.
Il est piquant d’observer que les chrétiens de gauche et les gauchistes humanitaires n’ont jamais été en fait que les auxiliaires de police du capitalisme financier, chargés d’éradiquer des populations entières[11].

2

Les « communeux »[12] ont une histoire longue et complexe qui mérite quand même autre chose que l’exécution en règle et l’oubli définitif. Histoire d’ailleurs inextricablement liée au christianisme (pourquoi l’a-t-on oublié ou occulté ?) tout au long du XIXe surtout !
Les doctrines et les spéculations du peuple qui n’avaient souvent rien de vil, et en tous cas une longue histoire qui ne permettait pas de mépriser ou d’éluder d’un tour de main tout ce qu’elles recouvraient, vont se trouver vidées[13], comme énucléés en quelques années, il ne restera que des orbites vides de toute substance humaine et vivante qui vont grouiller dès après 1980 de morts-vivants : des sortes de politiques-zombis[14].
Or, aucun système n’a été plus ouvertement ou insidieusement calomnié, discrédité que le marxisme, qui appartient justement, qu’on le veuille ou non, au très petit groupe des doctrines philosophiques et politiques rationalistes[15]. Il s’agissait donc bien d’en finir avec la part de raison que pouvait inclure le militantisme populaire.
La tradition politique du peuple vidée, comme avec une louche, de sa substance rationnelle, de ce qu’il y avait de sain en elle, on ne trouvait maintenant à sa place[16] que l’irrationalisme sensualiste et le cynisme le plus éhonté. Pour se vautrer dans les pires déjections de l’histoire, les leurs, les pires hommes de France étaient les meilleurs. Ce fut 1981.

3

Nous commençons donc à percevoir qui a réellement formé mentalement l’athée jouisseur et le sensualiste brutaliste évoqués plus haut. Non point Marx, rationaliste invétéré, rationaliste démentiel, mais les « chrétiens de gauche » et les gauchistes associés, qui sous couvert de lutter contre un fantôme bizarroïde, fabriqué pour l’occasion, « le totalitarisme », installaient discrètement une société régie par un magma verbal à prétention morale qui écrase et abrutit les braves gens et glorifie les vermines
Depuis 1980, à l’abri de cet irrationalisme fabriqué, ont pu pulluler les propositions (il n’y a pas de théories) morales et politiques les plus monstrueuses. Elles n’ont guère été attaquées, elles n’ont pas été raillées, sifflées et persiflées. Pourtant, elles ne forment pas un système fort, inexpugnable. Ce n’est, pour parler clair, que du verbalisme de pétasses hystériques recopié par des juristes schizoïdes[17] ! L’assurance démentielle[18] de la néo-bourgeoisie énervée et féminisée qui l’inocule explique seule que ce langage délirant passe partout et toujours comme une lettre à la poste.
Cette morale et cette politique visant l’assassinat d’un peuple a donc une double origine : les chrétiens de gauche et les gauchistes anti-marxistes. Deux constellations organisées en sous-main par une certaine fraction[19] de la grande bourgeoisie mondialiste et donc extrêmement bien nanties et très puissantes.
L’irrationalisme politique et moral induit par un assaut anti-totalitaire général qui avait pour fonction réelle d’interdire, par une étrange culpabilisation[20], d’user de la raison, nous en sommes victimes à temps plein, et nous ne savons guère comment en sortir, peut-être surtout parce que nous avons oublié l’histoire de sa fabrication.



Jacques-Yves Rossignol
————————————————————–
[1] Ces citations, que l’on pourrait multiplier, ont été parfois librement adaptées pour unifier et faciliter la présentation.
[2] Rappel : par delà l’exception mystique, le christianisme fait obligation d’user de la raison pour l’intelligence des choses de la foi.
[3] Que cette prétention soit démesurée est un autre problème.
[4] Ici encore, considérable bibliographie peu exploitée !
[5] L’histoire des corporations, de leur suppression et toute l’histoire de la question sociale aux XIXe et XXe siècle, par exemple. A un autre niveau, les questions de justice, de droits et en particulier de justice sociale.
[6] L’usage effectif de la raison.
[7] Cela ne concerne pas tous les groupes dits « gauchistes », évidemment.
[8] Pour l’irrationaliste, le sensualiste, le solipsiste, le succès est tout ce dont il a besoin dans la pratique, laquelle peut alors être considérée comme indépendante de la connaissance. Traduisons : une discipline morale systématique élaborée en commun et sur les résultats de laquelle les hommes de bonne foi s’accordent est tout à fait superflue et parasitaire pour celui qui n’est plus qu’un séducteur, un magouilleur, un esthète, ou un artiste.
[9] J’ignore malheureusement si un tel travail a été réalisé par des universitaires.
[10] Façon de parler : sans anticiper sur d’autres développement, notons que la diffusion permanente de musique industrielle mondialisée est un élément clef de la stratégie de crétinisation des populations résistantes.
[11] La liquidation des résistants au capitalisme mondialiste se poursuit à un rythme accéléré. Désormais repérables dans l’océan de l’irrationalité générale, ils sont en outre très souvent signalés à la police du mondialisme par les innombrables collaborateurs de la déclension. Les policiers et délateurs du mondialisme sont notamment déguisés, aux frais de leurs employeurs, en : ethnologues, anthropologues, artistes, journalistes, jolies filles – liste non exhaustive.
.
[12] J’emploie ce terme pour éviter celui, discrédité et souillé pour des siècles, de « socialistes ».
[13] Par les chrétiens de gauche surtout.
[14] Ceci est un autre chapitre.
[15] Mais, évidement, le rationalisme marxisme n’épuise pas la réalité ; c’est un rationalisme partiel, il donne des aperçus régionaux sur le monde réel, comme toute discipline à prétention scientifique.
Et les limites de Marx sont dans certaines ambitions, certaines contradictions énormes, et un optimisme souvent déconcertant.
Contradiction énorme entre par exemple sa critique acerbe et serrée du droit issu de la révolution française « bourgeoise » et des droits de l’homme en particulier et un certain humanisme universaliste larmoyant qui vient contredire l’idée même de civilisation. Déjà chez Marx…..
Le marxiste ira échouer et mourir dans les sables mouvants du tiers monde, confondu alors avec la défense de causes tribales et la haine de l’Occident. Triste fin, pour cette immense doctrine….
[16] C’est un point essentiel de mon raisonnement, je me crois donc obligé de préciser à l’usage de ceux qui refusent catégoriquement de considérer qu’une étiquette peut avoir cessé de recouvrir les réalités qu’on est persuadé d’y apercevoir encore, tout simplement parce qu’on retarde de plusieurs guerres : à la place de la « gauche ».
[17] Ayant perdu la sens de la réalité et se mouvant uniquement dans un monde abstrait et malade, celui de la ratiocination juridique formelle en l’occurrence.
[18] Fondée en dernière instance sur les profits capitalistes redistribués exclusivement entre « amis », entre nouveaux riches, après élimination des anciennes classes possédantes plutôt classiques et nationalistes.
[19] Fortement protestantisée.
[20] S’il faut parler crûment : raisonner ou seulement esquisser une tentative de raisonnement, c’est, depuis longtemps déjà, en France, laisser transparaître des tendances totalitaires.


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